Chaque semaine, un habitant du Nord vaudois ouvre l’album de ses souvenirs et une fenêtre sur son village.

C’est sur l’ancien terrain de football du village que Jean-Michel Jaquier, ancien syndic, s’est illustré dans sa jeunesse. Derrière lui, la Cour, l’une des merveilles de Bonvillars. Le bâtiment principal a été construit au XVIe siècle. Selon la légende, Charles Le Téméraire aurait dormi dans la chambre située sous l’avant-toit pour une nuit…. © Michel Duperrex
Adossé à un but du vieux terrain de football de Bonvillars, Jean-Michel Jaquier, ancien syndic et illustre personnage du village, se souvient des victoires d’autrefois, non sans une certaine nostalgie. «J’ai fait partie du FC Bonvillars dans ma prime jeunesse. Presque tous les jeunes y jouaient. J’ai foulé à maintes reprises ce terrain», explique l’homme de 78 ans, les yeux rieurs et le sourire aux lèvres.
Derrière lui se dresse la Cour de Bonvillars, datant du XVIe siècle. Son bâtiment principal, avec son toit brun, ses trois cheminées, sa façade immaculée et ses grandes fenêtres, en impose. Jean-Michel Jaquier, coiffe dégarnie, bouche pincée et vêtu d’un pull rayé brun et bleu, rejoint le jardin de l’illustre maison, occupée aujourd’hui par les écoles primaires. Il pointe du doigt une fenêtre du troisième étage: «Charles le Téméraire aurait dormi dans cette chambre la nuit précédant la bataille de Grandson. On pense toutefois que c’est une légende racontée de génération en génération.» Il faut dire que le village a un passé historique impressionnant. Et les témoins de celui-ci, à l’image du menhir qui trône dans le vignoble et des maisons vigneronnes des XVIIe et XVIIIe siècles, sont en parfait état. Comme si le temps n’avait pas eu d’emprise sur eux.
Jean-Michel Jaquier, qui a été au service de sa commune pendant près de cinquante ans, est bien placé pour le savoir. A l’autre bout du village, il vit avec son épouse Huguette dans une bâtisse classée du XVIIIe siècle. «Avec mes parents, nous nous sommes installés ici dans les années 1950», précise-t-il. C’est désormais assis sur son canapé en cuir foncé, dans cette illustre bâtisse, que l’ancien politicien, syndic de 1994 à 2008, poursuit la narration du passé historique de sa maison. Celle-ci a été construite par Fortunato Bartolomeo de Felice, encyclopédiste, éditeur et auteur italien, en 1772. La carrière de celui-ci a connu un tournant sans précédent lorsqu’il a publié, en 48 volumes, l’Encyclopédie ou dictionnaire universel raisonné des connaissances humaines, dite l’Encyclopédie d’Yverdon. «Nous n’avons retrouvé aucun trésor ni aucun des tomes de cet ouvrage», lance Jean-Michel Jaquier dans un éclat de rire.

Derrière la maison de Jean-Michel Jaquier, l’église du village, datant du XIIe siècle, ne passe pas inaperçue avec son clocher pointu… © Michel Duperrex
C’est donc dans cette demeure historique qu’il a grandi. «J’ai étudié le métier d’agriculteur à Marcelin, à Morges, poursuit-il. Nous avons repris l’exploitation agricole familiale avec mon frère en 1968, cinq ans après mon mariage avec Huguette.» Le couple a eu trois enfants, deux filles et un garçon. Le travail était alors difficile pour s’occuper de la trentaine de vaches laitières, de la vigne et des champs. Mais Jean-Michel Jaquier l’a fait avec passion avant de remettre, à son tour, le domaine à son fils François, au début des années 2000. L’homme, timide, quitte maintenant son canapé pour se rendre dans l’étable. «C’est la dernière exploitation du village», explique-t-il, tout en guidant une vache vers les autres.
Depuis sa naissance, et durant son mandat politique, Jean-Michel Jaquier a vu plusieurs établissements fermer. Il y a d’abord eu le camion Migros, qui a arrêté de passer dans le village. «Puis ce fut au tour de l’épicerie, de la poste, de la laiterie et du forgeron, qui a quitté son poste à l’âge de 90 ans. Beaucoup d’habitants regrettent ces commerces. Mais ma fonction de syndic a été très intéressante. Nous avons réparé de nombreux bâtiments communaux. J’ai arrêté en 2008, pour laisser la place aux plus jeunes.»
Devant l’entrée de sa maison, Jean-Michel Jaquier se tourne pour faire face à l’église du village, coiffée d’un clocher pointu en pierre. «Elle date du XIIe siècle», raconte encore le Bonvillarois, précisant qu’elle fait partie des joyaux de la commune. Avant de regagner ses pénates, l’homme conclut, sur une touche d’humour: «Avant, j’adorais le football, j’étais toujours sur le terrain. Aujourd’hui, je suis devenu un sportif de salon.»