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«J’ai acquis l’espérance»
© Michel Duperrex

«J’ai acquis l’espérance»

10 mars 2022

Le 25 mars prochain, une trentaine de personnes seront diplômées de la formation de doulas de fin de vie. Un enseignement dispensé par l’Yverdonnoise Rosette Poletti, infirmière à la retraite, qui se donne corps et âme pour un monde plus humain.

Forte détermination, sagesse et sérénité: telles sont les valeurs qui accompagnent la doctoresse Rosette Poletti au quotidien. C’est dans un cadre chaleureux et tranquille au cœur d’Yverdon-les-Bains que cette femme de 84 ans, bien entourée – elle cohabite avec une famille de migrants tibétains – a reçu La Région.

Rosette Poletti, qu’est-ce qu’une doula ?

Doula veut dire «servante» en grec ancien. Ce sont ainsi des personnes qui agissent dans le sens de vous servir et de vous accompagner en tenant compte de vos désirs. Je me rends de plus en plus compte qu’il y a autour de nous des gens formidables, pleins de tendresse et de compassion, prêts à aider. Et je trouve que c’est génial. Les Américains appellent doula la soul midwife, c’est-à-dire la sage-femme de l’âme. Il s’agit d’une comparaison avec les doulas de naissance, qui aident les mamans pour les aspects pratiques à la maison après l’accouchement.

Cette activité est-elle réservée aux femmes?

Non (rires)! Si des hommes sont intéressés, c’est avec plaisir! Historiquement, les premières doulas étaient des femmes, c’est vrai. Et dans l’esprit des gens, de manière générale encore, une doula est une femme, avec son côté maternel, qui accompagne. Mais aux États-Unis il y a aussi des hommes très connus qui sont des doulas. L’idée est vraiment d’effectuer le même travail d’accompagnement que si nous avions affaire à un proche ou à quelqu’un de la famille. Et quand vous vous rendez compte sociologiquement du nombre de gens qui se sentent seuls… Ces personnes-là voudraient aussi que quelqu’un soit là quand elles vont mourir. Elles ont besoin de quelqu’un qui ne fasse pas forcément partie de l’équipe soignante, mais qui pourrait jouer ce rôle du membre de la famille qu’elles n’ont pas.

Actuellement, être doula de fin de vie est-il trop peu reconnu et valorisé ?

On aimerait effectivement que cette activité se professionnalise. Les femmes ont aujourd’hui beaucoup de peine à valoriser financièrement le travail qu’elles font, en particulier dans le cadre de l’accompagnement.

Cela relève un peu du concept du «care»…

Exactement. Et je trouve qu’on sait moins bien que les hommes comment valoriser nos propres prestations. Pour mes étudiantes, je devrais essayer de trouver une personne qui vienne leur donner des cours à ce sujet durant de leur cursus (rires).

Les associations de doulas de fin de vie sont-elles récentes?

Oui, elles datent de trois ans chez nous, mais elles existent depuis dix ou quinze ans dans les pays anglo-saxons, qui ont plus rapidement pris conscience de leur importance. En Suisse, on a toujours un peu de retard, mais après on s’y met sérieusement (rires).

Y a-t-il des prérequis nécessaires pour les personnes qui aimeraient suivre cette formation ?

Il faudrait avoir au moins 25 ans. Je demande cet âge pour, si possible, qu’il y ait déjà eu une expérience d’accompagnement. Par exemple, une petite expérience de vie en ayant connu un deuil qui a profondément touché ces personnes. Et puis, ce qui est nécessaire, c’est d’être désireux d’accompagner, de se remettre constamment en question. Car nous sommes là pour apporter, pour soutenir. Nous sommes là pour écouter les souhaits de la personne en fin de vie et répondre au mieux à ses besoins. Et il ne faut avoir aucun jugement. On doit pouvoir s’adapter, car ce n’est pas à nous de décider. Le problème, on y revient, sera de faire en sorte que les gens puissent en vivre un minimum, au terme de leur formation de doulas. Il faudra travailler avec les assurances de base, car si elles prenaient les doulas en charge, cela reviendrait beaucoup moins cher que des journées d’hospitalisation. Je suis plus axée formation mais, au sein de l’association, il y a un comité qui gère toutes ces questions financières.

Ces personnes doivent-elles avoir suivi des formations précédentes dans les soins pour pratiquer et devenir doula?

Non, même si une bonne partie des doulas ont été aides-soignantes, infirmières ou ont travaillé dans des domaines similaires dans le secteur du social. Surtout, avec le contexte du Covid, il y a une prise de conscience chez beaucoup d’individus qui se demandent si leur travail actuel fait sens, et qui cherchent à trouver une alternative qui les rendrait plus heureux et épanouis que leur profession actuelle.

Combien de personnes suivent-elles la formation?

Actuellement, le groupe est composé de 23 personnes. Il s’agit de la deuxième formation que je donne et nous avons déjà de nombreuses inscriptions pour l’année prochaine. Je ne veux cependant pas plus de vingt-cinq personnes, sinon cela fait beaucoup et on ne fait plus vraiment du bon travail. Au niveau des âges, elles ont de 25 à 50 ans environ, mais deux sont déjà à la retraite. Et ce qui est frappant, c’est qu’elles souhaitent travailler bénévolement. Cela peut donc apporter une aide concrète à une famille qui ne pourrait pas se payer les services de quelqu’un de formé dans le domaine médical.

Les personnes que vous formez seront aptes à accompagner des individus en fin de vie par mort naturelle. Cela comprend-il aussi les patientes et patients qui choisissent de partir avec l’assistance au suicide, comme Exit?

L’association Exit a ses propres bénévoles. Je peux imaginer qu’une doula de fin de vie accompagne la personne qui souhaite mourir avec Exit un peu avant son départ. Ensuite, lors de l’acte final, c’est une personne formée qui doit le faire, bien sûr, car il y a des conditions juridiques assez spécifiques, la mort étant alors dite «non naturelle». C’est une chance que l’on a en Suisse: on respecte la volonté de la personne. Je trouve que c’est important, car on dit toujours durant son vivant qu’il faut prendre soi-même ses propres responsabilités… et quand vient le moment de la mort, on dit «ah non ce n’est pas à vous de décider! Laissez-nous faire!» Je dis non. Cela ne doit pas se passer comme ça. On devrait pouvoir décider jusqu’à la fin de notre existence.

Concrètement, qu’enseignez-vous durant vos cours?

Ce qu’est une doula, déjà. Ensuite, comment est-ce qu’en tant que doula, on fait face à sa propre vision et expérience de sa propre mort, car on a un travail sur soi-même à faire. Après il y a tout ce qui touche à la fin de vie, à la transition, à l’accompagnement à ce moment-là, à ce dont la personne aura besoin. On réfléchit sur comment ce moment peut se passer le mieux possible. Comment soutenir les proches et les intégrer dans les soins que l’on donne? Ça peut être des soins de dernier moment, comme allumer des bougies par exemple. À l’heure actuelle, il y a une tendance chez nous: ce qu’à l’étranger les doulas appellent des vigiles, c’est-à-dire des sortes de veillées funéraires. On a toutes et tous été tellement traumatisés par ce qui est arrivé lors du Covid… Par exemple, des personnes qui n’ont pas pu assister aux funérailles de leur proche. Là, il y a une demande des gens. On peut juste allumer une bougie, rester là quelques heures et laisser le temps à la transition du corps. On enseigne aussi comment organiser cette vigile. Il peut y avoir des choses qui durent plus longtemps, on peut veiller le corps. Cela permet à la famille de venir et de voir la personne dans son environnement. Et, finalement, il y a l’accompagnement du deuil.

Vous parlez de transition du corps. Est-ce que vous dispensez aussi des cours de théologie, de religion, dans cette formation?

Non. Il y a actuellement une grande majorité de personnes qui se réfèrent plutôt à leur spiritualité qu’à leur religion. Bien sûr, la religion est importante, mais en général, les personnes ont fait part de ce qu’elles voulaient. Si elles veulent un ecclésiastique, on va l’appeler. Mais la plupart des gens veulent qu’on leur mette une musique, qu’on leur lise quelque chose tranquillement ou que l’on allume une bougie. On doit savoir ce que la personne veut et ce dont elle a besoin, mais ce n’est en aucun cas à nous de décider de quoi que ce soit! Les expériences dépendent des accompagnés. Il faut toujours savoir s’adapter et répondre aux demandes de la personne. Cette période de la vie est très particulière, on entre dans un tel mystère, que les gens veulent renouer avec cet au-delà que, peut-être, ils ont un peu laissé de côté le reste de leur vie. Il faut accepter la dernière volonté de tout un chacun.

Le fait de dispenser des cours d’accompagnement pour le deuil vous aide-t-il un peu à vous préparer à la mort?

Je crois que oui (rires). J’ai vécu beaucoup de choses au niveau du deuil déjà… La mort j’y pense tout le temps. Ce que je veux dire par là, c’est que je l’enseigne, donc forcément cela fait partie de mon quotidien! Là, il me semble que je suis paisible, à travers tout ce que j’ai entendu, à travers ce que racontent les personnes qui ont vécu des expériences de mort imminente… Peu importe qui l’on prend, c’est toujours la même chose! Maintenant, les médecins parlent de quelque chose qui se passe, de grande lumière et d’amour. Au cours de toutes ces années, j’ai vécu une sorte d’acceptation du fait que tout le monde était mortel. Et j’ai acquis l’espérance que c’est vers cette lumière que l’on va.

 

«Le but est de rendre la mort moins taboue»

 

Rosette Poletti avait 6 ans lorsqu’elle a vécu le décès de son arrière-grand-maman, qui vivait dans la maison familiale. Le corps de la défunte est resté quelques jours à domicile et les parents de Rosette lui ont tout expliqué. Ils ont pris le temps de lui faire comprendre ce qui s’était passé, ce qui ne devait pas être une mince affaire pour une enfant si jeune. La doctoresse Poletti suppose que c’est cet évènement qui l’aurait incitée, plus tard, à s’intéresser aux soins palliatifs. «Il est très important de prendre en compte les enfants dans ces circonstances, explique-t-elle aujourd’hui. Il faut prendre le temps de leur expliquer cette transition vers l’au-delà. Il s’agit d’un accompagnement, il ne faut pas leur interdire d’accéder à ces choses-là, qui nous concernent tous et toutes.»

 

Une des pionnières en soins palliatifs en Suisse

 

Rosette Poletti est née en 1938 à Payerne, aînée d’une famille de trois enfants. Au début des années 60, elle effectue la formation d’infirmière à Genève et obtient un Master en sciences de l’éducation de l’Université de Genève, ainsi qu’un diplôme de théologie. Dotée d’une grande passion pour la découverte de nouveaux horizons, elle voyage beaucoup, puisqu’elle part en tant qu’infirmière missionnaire en Afrique du Nord, aux États-Unis, ainsi qu’en Inde. C’est à New York, à l’Université de Columbia, qu’elle obtient son Doctorat en sciences de l’éducation. Elle devient chargée d’enseignement, tout en continuant en parallèle sa profession d’infirmière axée sur les soins palliatifs dès leur émergence dans le domaine médical.

Depuis 2021, elle donne des cours d’accompagnement des personnes en fin de vie à Yverdon-les-Bains, à l’Institut de recherche et de formation à l’accompagnement des personnes en situation difficile (Irfap). En parallèle à sa passion inconditionnelle pour son métier, elle aime avant tout partager et enseigner ses connaissances, tout en cherchant à communiquer et à échanger avec d’autres cultures. Par ailleurs, elle tient chaque semaine une chronique, «Sagesse», dans Le Matin Dimanche.