«Je comprends pas pourquoi je l’ai pas vu»

3 juin 2014

Le conseiller national Jean- Pierre Grin a été reconnu coupable d’homicide par négligence, hier. Son procès faisait suite à l’accident dans lequel l’élu a été impliqué en juillet 2012.

Le conseiller national Jean-Pierre Grin et son avocat Stefan Disch lors de leur arrivée au tribunal.

Le conseiller national Jean-Pierre Grin et son avocat Stefan Disch lors de leur arrivée au tribunal.

Nul doute. La présence, dans un petit tea-room-boulangerie voisin du Tribunal correctionnel de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, hier matin, peu avant 9h, du ténor du barreau vaudois Stefan Disch -il est notamment le défenseur de Laurent Ségalat- trahissait à elle seule que l’affaire qui s’apprêtait a être jugée, à Yverdon-les-Bains, était exceptionnelle. Et elle l’était. Mais moins en raison des faits reprochés à l’accusé, qu’en raison de son identité : Jean-Pierre Grin, le conseiller national UDC, habitant de Pomy, commune dont il a, par ailleurs, été le syndic entre 1994 et 2011. Ce détail, plus tard au cours de l’audience, aura son importance.

L’élu dont la présence sur le banc des accusés d’où, une matinée durant, il a dû répondre d’homicide par négligence, faisait suite à son implication, le 28 juillet 2012, dans l’accident de la circulation qui a couté la vie à un homme âgé de 48 ans au moment des faits, époux et père de deux enfants.

«Cela fait vingt mois que je me pose la question de savoir comment cela a pu arriver, vraiment, je n’arrive pas à comprendre pourquoi je ne l’ai pas vu», a longuement expliqué, visiblement ému, le conseiller national, en début de matinée.

Au dernier moment

«Pas vu» cette fameuse voiture noire conduite par la victime, lorsque Jean-Pierre Grin, alors au volant de l’un des trois tracteurs de l’exploitation agricole de son fils, équipé à l’avant d’une faucheuse rotative, à l’arrière d’une remorque chargée d’herbe, arrive, en provenance d’Ursins, à proximité de l’intersection de la route secondaire avec la route principale Yverdon-les-Bains – Thierrens. Une route déclassée par un signal cédez le passage.

«Lorsque je suis arrivé à environ cinquante mètres de l’intersection, j’ai commencé à décélérer. Je devais alors être à 15 ou 20 km/h. J’ai regardé une première fois à gauche, où j’ai vu un autre véhicule, une voiture blanche, qui était vraiment très loin. Puis, j’ai regardé à droite, où je n’ai rien remarqué. Enfin, j’ai de nouveau regardé à gauche, mais je n’ai toujours rien vu», raconte l’ancien syndic de Pomy.

Alors parvenu à la vitesse du pas, selon le témoignage de la conductrice de la voiture suivant le convoi agricole et qui, lors de son audition, a confirmé qu’elle non plus n’avait, dans un premier temps, pas vu le véhicule de la victime, Jean-Pierre Grin accélère pour franchir l’intersection.

Alors l’élu voit une voiture devant sa faucheuse. Mais, hélas, trop tard. Cette dernière, dont rien ne permet de dire qu’elle roulait trop vite, et malgré une tentative d’évitement amorcée par son conducteur, touche la faucheuse rotative puis, déséquilibrée, part en dérapage, heurte la bande herbeuse, avant de se retourner et d’effectuer deux tonneaux et demi. L’occupant, qui n’avait pas mis sa ceinture de sécurité, est éjecté de l’habitacle, sans doute par le toit ouvrant. Gravement blessé, il finira par décéder sur les lieux.

«J’y ai beaucoup réfléchi et la seule explication qui me semble plausible est que la voiture a été cachée par la largeur des montants du tracteur et la largeur de ses rétroviseurs », a poursuivi Jean-Pierre Grin. «Sans oublier que ce carrefour, en X aplati, comporte, de par sa configuration, un angle mort naturel », a ensuite ajouté son avocat, maître Stefan Disch. L’actuel syndic de Pomy, cité comme témoin de moralité, a, quant à lui, rappelé que l’endroit, réputé «périlleux» et théâtre de onze accidents entre 2006 et 2012, faisait l’objet d’une procédure afin d’être modifié en un croisement à angle droit.

Des excuses sincères

Mais il n’empêche, «ce malheureux concours de circonstances», comme l’a qualifié la procureure Marjorie Moret, ce non respect du cédez le passage, est bel et bien à l’origine de la mort d’un père de famille, «qui nous manque», ainsi qu’a confessé, hier, l’un de ses fils, avant de rappeler que, depuis l’accident, sa mère, déjà fragile suite à la perte de trois de ses frères durant la guerre en Bosnie, a vu son état empirer. Et ce même si, dès le lendemain du drame, Jean-Pierre Grin est venu leur rendre visite, puis leur a écrit plusieurs lettres, afin de leur faire part, comme d’ailleurs durant son procès, de son regret sincère -paroles d’autant plus authentiques que, ironie du sort, l’élu a lui-même perdu un enfant, alors âgé de six ans, dans un accident impliquant un tracteur.

Bref, une faute minime avec de graves conséquences, pour laquelle, hier en fin de journée, le Tribunal a reconnu Jean-Pierre Grin coupable d’homicide par négligence avant de le condamner à 30 jours-amende à 200 francs avec un sursis de deux ans. Estimant, entre autres, à charge, que l’élu, qui connaissait particulièrement bien les lieux, aurait dû faire preuve de plus de prudence, puis de rejeter l’hypothèse d’une éventuelle responsabilité du conducteur qui n’était pas attaché. «Le fait que le véhicule ait fait plusieurs tonneaux et la violence du choc suffisent objectivement à considérer ce dernier comme propre à donner la mort», a justifié la présidente. Une magistrate qui, pour finir et à décharge cette fois, a souligné le regret sincère, la situation familiale et l’excellente collaboration, tant durant l’accident que pendant l’instruction, du conseiller national.