Dans la jungle des labels, pas toujours facile de s’y retrouver. La branche destinée à rétribuer de manière équitable les producteurs de lait se développe.
Dans les supermarchés, fleurissent des labels de toutes sortes, sur différents types de produits alimentaires. Garantissant le respect de normes sociales, environnementales ou encore du bien-être animal, ces labels permettent de renseigner le consommateur sur ses achats et de l’encourager à consommer de manière responsable.
Une action qui, par son essence même, souligne les problèmes systémiques d’exploitation des ressources pour le profit, au détriment de nombreux acteurs de notre planète.
Partis d’une bonne intention donc, les labels ne se valent pas tous. Si de véritables efforts sont faits pour certains, d’autres se révèlent être de la poudre aux yeux; un argument marketing de plus pour que le produit se vende mieux en donnant faussement bonne conscience au consommateur. À l’échelle mondiale, on se souvient du raz-de-marée médiatique qu’avait provoqué le documentaire Starbucks sans filtre diffusé sur Arte en 2018, révélant notamment un label de café présenté comme issu à 99% du commerce équitable et qui n’était qu’un écran de fumée.
Sur le plan suisse, il ne faut toutefois pas peindre le diable sur la muraille. Les labels sont en principe assez transparents et peuvent notamment être comparés sur le site labelinfo.ch. Les labels portant sur la valorisation des produits suisses et locaux et sur l’élévation des standards de production en termes de respect de l’environnement et du bien-être animal y sont d’ailleurs nombreux. Certains concernent directement le secteur des produits laitiers, comme les labels Swiss milk inside ou Swissmilk green.
Parmi les labels laitiers, certains s’intéressent de plus en plus à mettre en valeur une juste rétribution des producteurs. En effet, les producteurs et productrices de lait reçoivent environ 70 centimes pour un litre de lait vendu sur le marché suisse. Or, selon les chiffres d’Agridea (2016), le coût réel de production se trouve aux alentours de 98 centimes. Il est donc difficile pour nombre d’entre eux d’avoir une exploitation rentable (voir encadré).
La Foire aux labels
Ainsi, vous pouvez retrouver dans vos magasins de grande surface des initiatives de la part des grands distributeurs. Chacun a le sien: Fairmilk Milfina de Aldi, le Programme Coop pour le lait, Lait durable de Migros (ELSA), qui s’engagent tous à reverser quelques centimes supplémentaires aux producteurs, mais dont les efforts restent bien insuffisants.
Dès lors, il existe aussi des initiatives locales. Une stratégie Bottom-up, qui part des producteurs eux-mêmes et qui compte sur le soutien des consommateurs. «Il s’agit ici d’une action collective, dont la plus-value est destinée aux acteurs locaux sans que cela ne passe par une marque privée qui prend une marge au passage», explique Alessandra Silauri, directrice de la fédération laitière Prolait basée à Yverdon-les-Bains. Il existe notamment le label Fair reconnaissable à son cœur bleu, lancé par des agriculteurs de toute la Suisse et qui souhaite surtout sensibiliser les citoyens à la situation des producteurs. Ou encore le label Lait équitable Faireswiss récemment lancé qui redonne 1 franc par litre de lait vendu à l’éleveur. Il existe encore le lait Genève Région Terre Avenir (GRTA). En Suisse allemande, on trouve aussi le label Di Fair Milch Säuliamt.
Comme une aiguille dans une botte de foin?
Beaucoup d’acteurs, entre lesquels il est encore possible de se perdre. «Pas forcément, répond Alessandra Silauri. Certains labels sont spécifiques à certaines régions et tous les consommateurs n’y seront pas confrontés. De plus, il y a quelques années, la Confédération, par le biais de l’Office fédéral de l’agriculture, a fait en sorte d’harmoniser les exigences pour les labels des produits régionaux. Ainsi, les consommatrices et consommateurs ont désormais la garantie que le label produit régional soit le même de Genève à St-Gall.»
Quand le consommateur achète un produit labellisé, il a donc l’assurance que la denrée en question respecte un certain nombre d’exigences. «Cela encourage le consommateur à acheter local et c’est une vraie plus-value pour le producteur dont le travail est valorisé et récompensé par quelques centimes supplémentaires gagnés», explique Alessandra Silauri. Cela permet également de sensibiliser le consommateur à la cause paysanne.
Vigilance constante
Pourtant, si ces labels mettent en avant un produit de qualité qui entre en résonance avec les valeurs du consommateur, il est nécessaire que celui-ci ne fasse pas confiance aveuglément au marketing des labels. Certaines entités, comme la Fédération romande des consommateurs, s’appliquent justement à le renseigner.
Prix du lait à géométrie variable
Des chercheurs de l’Université de Berne ont récemment publié les résultats d’un sondage sur la problématique du marché du lait en Suisse.
Avec une valeur d’environ 2,8 milliards de francs et plus de 3 millions de tonnes de lait destinées au marché alimentaire, on peut dire que le secteur laitier est une branche clé de l’agriculture suisse. Toutefois, de plus en plus d’exploitations laitières jettent l’éponge: entre 2008/2009 et 2022, leur nombre a diminué de 35%. Il faut dire que bon nombre d’entre elles ne peuvent plus produire de manière rentable.
Le Centre for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne a mené une étude afin d’esquisser des solutions. L’enquête a été menée auprès de 17 000 producteurs entre octobre et décembre 2022, à une époque où le prix du lait à la production avait atteint son plus haut niveau depuis 2009. Les résultats démontrent notamment que le prix influence de manière déterminante la satisfaction des agriculteurs. Nombre d’entre eux estiment qu’il est trop bas et insuffisant pour couvrir les coûts de production. Le revenu est dès lors jugé trop faible par rapport aux charges.
La segmentation rejetée
La deuxième grande critique qui ressort de l’étude concerne la segmentation du lait introduite en 2011 et qui est déterminante pour la formation des prix. Le lait est ainsi réparti entre les segments A, B et C avec trois catégories de prix différentes. Si l’on doit résumer cette segmentation, on pourrait dire que, toute proportion gardée, le lait A sert pour le marché suisse, le lait B sert à la fabrication de produit destiné à l’exportation et le lait C, en fonction de la conjoncture, est destiné aux produits de régulation, comme le beurre ou la poudre de lait, dans le cas où le marché laitier serait saturé.
Cela signifie que pour un lait de même qualité, les producteurs reçoivent des prix différents en fonction de la segmentation dans laquelle leur lait est livré. Concernant la segment de destination de son lait, le producteur n’a pas de choix. Cette situation suscite l’incompréhension: 60% des répondants la rejettent considérant que la répartition est opaque et injuste.
«De plus, ils considèrent la segmentation comme un instrument permettant de réduire le prix du lait au profit du secteur de la transformation et du commerce et expriment des doutes quant aux rapports de force inégaux sur le marché», explique Bettina Scharrer, cheffe de projet au CDE, citée mardi dans un communiqué de l’alma mater bernoise.
En conclusion, l’étude recommande d’améliorer le dialogue avec les producteurs de lait dans leur ensemble, notamment en ce qui concerne la segmentation et suggère de supprimer, au niveau politique, les incitations favorisant l’intensification de l’économie laitière, ce qui mènerait à une production plus durable.