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L’après 9 février inquiète les entrepreneurs

20 février 2014

L’issue de la votation sur l’immigration de masse préoccupe passablement les milieux économiques du Nord vaudois.

Le personnel des EHNV est composé de 37% d’étrangers.

Le personnel des EHNV est composé de 37% d’étrangers.

Les médias l’ont abondamment relayé ces derniers jours : la décision du peuple suisse au sujet de l’initiative de l’UDC Contre l’immigration de masse» fait des remous. Pour donner suite aux sollicitations reçues, le conseiller d’Etat Philippe Leuba a pris le parti de diffuser un communiqué de presse avec, en annexe, une note juridique visant à clarifier la situation à l’attention des employeurs vaudois. «Que les choses soient claires, cela n’était pas le téléphone rouge qui sonnait toutes les douze secondes. Néanmoins, quelques inquiétudes se sont manifestées rapidement, si pas le jour-même, et nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes», précise Denis Pittet, responsable communication du Département vaudois de l’économie et du sport.

Surtout les PME

Il ajoute que les préoccupations émises provenaient essentiellement par les PME et petites entreprises, dépouvues de «bataillon de juristes» à même de lever leurs doutes. Pour sa part, Laurent Gabella, administrateur-président de l’entreprise Ernest Gabella S.A. Et président de la Société industrielle et commerciale d’Yverdon, Grandson et environs (SIC), n’a pas contacté l’Etat de Vaud, la démarche étant prématurée à ses yeux.

Sans être en panique, le dirigeant de la société yverdonnoise active dans le bâtiment, le génie civil, la construction routière et ferroviaire ne cache pas son inquiétude quant aux répercussions de la votation, à l’image d’autres entrepreneurs de la région. «Je n’ai pas été sollicité de manière directe et concertée sur la question, mais plusieurs d’entre eux ont fait part de leur crainte à plus d’un titre. Par exemple, comment les quotas de travailleurs étrangers vontils être calculés en fonction des secteurs ou des régions ?», demande Laurent Gabella.

 Lourdeur administrative

Dans son secteur, les travailleurs temporaires sont très bien représentés et le président de l’entreprise nord-vaudoise avoue que l’un de ses soucis principaux porte sur «la sauce à laquelle ils vont être mangés». Sa seconde source de cheveux gris a trait aux tracasseries découlant de la politique des quotas, dont la mise en place serait synonyme de coûts supplémentaires et de manque de réactivité.

Le président de GastroVaud Frédéric Haenni redoute lui aussi le retour du permis A d’une durée de neuf mois octroyé au siècle passé aux travailleurs saisonniers, également nombreux dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Il espère néanmoins que le recours aux moyens de communication modernes comme Internet permettra de faciliter les démarches administratives.

Dans l’expectative

Aux Etablissements hospitaliers du Nord vaudois (EHNV), la tendance est à l’expectative. «Nous relativisons et allons voir venir. Notre inquiétude est liée à la complication des procédures de recrutement», indique Pascal Cotter, directeur général adjoint. Sur les 1818 collaborateurs que compte la structure hospitalière, 37% est d’origine étrangère.

Selon Laurent Gabella, l’impact de la votation du 9 février sur le marché intérieur, peu mis en avant à ce jour, pourrait avoir des conséquences fâcheuses. «L’incertitude va pousser les entrepreneurs à se montrer prudents, à geler leurs investissements ou à privilégier les contrats à court terme. Cela peut influer sur l’économie au sens large», relève-t-il.

 

Note du service juridique et legislatif

Application différée

A la demande du conseiller d’Etat vaudois en charge du Département de l’économie et du sport Philippe Leuba, une brève analyse juridique a été réalisée sur les implications du vote sur l’immigration de masse. Il ressort de cette dernière que l’article 121a portant sur la gestion de l’immigration «n’est pas directement applicable». Par voie de conséquence, la libre circulation des personnes en vigueur actuellement «n’est pas remise en cause tant que la législation d’application de l’article en question n’aura pas été adoptée, ce qui devrait être le cas dans le délai de trois ans posé par la Constitution, respectivement tant que l’Accord sur la libre circulation des personnes n’aura pas été dénoncé».

 

Le résultat de la votation va nuire à l’entrepreneuriat combier selon le directeur de l’Association économique de la vallée de Joux

«La secousse a été terrible et il faut laisser les choses se calmer»

Eric Duruz, directeur de l’Association pour le développement des activités économiques de la Vallée de Joux (ADAEV), est un brin fataliste au moment d’évoquer le résultat de la votation sur l’immigration de masse. «La vie continue. Il faudra que cela s’éclaircisse. Les entreprises vont s’adapter», lâche-t-il.

Aucune entreprise basée sur sol combier ne lui a, pour l’heure, fait part de ses inquiétudes, mais l’ingénieur diplômé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est capable de deviner l’opinion du tissu entrepreneurial de la Vallée. «Personne ne se réjouit de ce qui se passe.

Les bilatérales avaient facilité un certain nombre de choses, déclare-t-il. Et d’ajouter : «Je suis content de constater que la vallée de Joux ait rejeté l’initiative de l’UDC. Nous étions très concernés car nous comptons une forte proportion de travailleurs frontaliers. La décision politique de mes concitoyens prouve que l’on peut coexister et se développer loin des grands axes, en bonne intelligence avec la France voisine», soulignet- il.

Freiné dans son élan

Selon lui, le Canton a répondu aux inquiétudes immédiates (lire encadré ci-dessus), reste que les conséquences de la votation du 9 février sont susceptibles de freiner l’élan combier. «La région se relève d’une grosse crise -la crise horlogère des années 1970, ndlr. Les entreprises sont devenues fortes, elles donnent le ton. La décision du peuple est défavorable, elle leur donne des contraintes supplémentaires, en réduisant, par exemple leur flexibilité. Il est également très ennuyeux de savoir que des contingents vont être établis sur les permis de frontaliers », analyse le directeur de l’ADAEV, qui mise sur le bon sens des pays voisins. «Personne n’a avantage à durcir ses positions. J’espère notamment que les autorités françaises auront une attitude dogmatique et constructive», lance-t-il.

Et les frontaliers, comment voient-ils la situation ? Yannick Rappan, collaborateur scientifique de la Conférence TransJurassienne (CTJ), n’a pas eu connaissance de témoignages suite à l’acceptation de l’initiative de l’UDC. «C’est peut-être parce que les dangers du résultat de cette votation ne sont pas imminents. Quand son contenu sera vraiment appliqué, cela sera sûrement différent», prédit-il.

Syndic d’Yverdon, mais aussi coprésident du comité de pilotage de L’aire de proximité Mont d’Or-Chasseron, Daniel von Siebenthal n’a pas non plus eu de retour sur la vision des frontaliers. «On en reparlera lors de notre prochaine séance. Cette décision ne nous facilite la tâche. Sollicitée sur la question des frontaliers, la manufacture Audemars Piguet, basée au Brassus, n’a pas souhaité se prononcer, alors que l’entreprise Jaeger-LeCoultre, dont le siège est situé au Sentier, n’a pas donné de réponse dans les délais.