Le loup lui a enlevé dix brebis
16 avril 2025 | Textes: Lena Vulliamy | Photo: Gabriel LadoEdition N°La Région Hebdo No 7
L’agriculteur Lucien Kaenel a vécu un cauchemar mardi matin en découvrant dix de ses bêtes gisant inertes, probablement tuées par deux loups appartenant à la meute de Jougne Suchet. De quoi remettre un débat houleux sur le tapis.
La scène est à glacer le sang. Sous la pluie fine de ce mercredi matin, dans la zone industrielle En Rionzi, à Valeyres-sous-Rances, les cadavres de dix moutons attaqués dans la nuit de lundi à mardi sont exposés en ligne sur une bâche vert foncé, certaines toutes tripes dehors. En fait, le loup n’a rien mangé, juste tué. L’éleveur Lucien Kaenel est en pleurs. Ses bêtes, il les a trouvées mardi matin. «Déjà à 500 mètres, j’ai su que le loup avait passé. Et j’ai découvert le carnage, parce qu’il n’y a pas d’autre mot. S’il en avait mangé une, je pourrais encore comprendre, mais là, c’est incompréhensible, c’est tuer pour tuer», exprime celui qui possède environ deux cents moutons répartis en plusieurs troupeaux. Les clôtures et l’électricité installées sont, selon ses dires, aux normes. «Le loup a sauté, je n’ai même pas eu besoin de réparer quoi que ce soit», explique-t-il, rappelant qu’il est difficile de surveiller tous les troupeaux.
Mobilisation de masse
Rendus sur place, les inspecteurs de Police faune-nature du Canton ont dressé les constats des prédations et ont effectué un affût la nuit suivante. Les loups ont été effarouchés. Mais depuis, l’agriculteur songe carrément à arrêter son activité si une nouvelle attaque se produisait, lui qui a déjà vécu cela l’an dernier. «Ce n’est plus viable, je ne peux plus vivre avec ça. Le loup ne sert à rien», lâche-t-il, la gorge nouée.
Et ce n’est pas tant la perte financière qui l’affecte – il sera par ailleurs dédommagé –, mais bien l’horreur de ce que ses animaux ont vécu. Seule consolation: le soutien de ses pairs venus en masse à la conférence de presse organisée conjointement par Prométerre, l’association vaudoise de promotion des métiers de la terre, et Agora, l’association des groupements et organisations romands de l’agriculture.
Les deux organisations appellent le conseiller d’État Vassilis Venizelos à prendre une décision rapide pour autoriser la régulation des individus responsables. «On y met de la passion et du temps et en une nuit, voilà les dégâts», déplorait Christophe Longchamp, président d’Agora et vice-président de Prométerre.
Des députés de droite dénoncent
Présent aussi, le député PLR et agriculteur Olivier Petermann est d’avis que «le Canton trouve toutes les excuses et ne veut pas prendre ses responsabilités.» Pour lui, «on joue avec le feu en laissant le loup coloniser notre territoire.» Selon le député UDC et agriculteur José Durussel, également venu apporter son soutien à Lucien Kaenel, «il faut éradiquer les loups et virer les personnes qui s’opposent au tir. Alors les écolos: faites quelque chose!» Son discours a été applaudi.
Dans les faits, il faut attendre, d’ici quatre semaines les résultats des tests ADN. «Au minimum deux loups ont été observés en train de revenir la nuit suivante sur les lieux de l’attaque, explique le Canton. Il s’agit probablement des auteurs des prédations, appartenant à la meute de Jougne Suchet». En vertu du cadre légal, s’agissant de loups appartenant à une meute, une régulation immédiate n’est pas possible, La loi fédérale sur la Chasse interdit en effet toute action de régulation au sein d’une meute durant la période de reproduction. Les premières mesures de régulation pourront intervenir à partir du 1er juin, avec l’accord de l’Office fédéral de l’environnement. Le Canton rappelle que «d’autres options permettent une meilleure cohabitation entre le loup et les activités pastorales.» Il met à disposition des subventions pour protéger les troupeaux contre les attaques, près de 350 000 francs (part fédérale et cantonale) en 2024 pour financer des parcs de protections, des surveillances nocturnes ou des chiens.
29 loups en terre vaudoise
Pour rappel, le Canton de Vaud avait fait l’été dernier une demande d’autorisation à Berne pour abattre les sept individus de la meute du Mont Tendre, coupable des trois quarts des attaques dans le Jura vaudois. À ce jour, elle a été réduite à quatre individus.
D’après son dernier pointage, 29 loups «au minimum» étaient actifs sur l’ensemble du territoire vaudois à la fin 2024, répartis en deux meutes vaudoises –Mont Tendre et Marchairuz–, trois meutes transfrontalières – Risoud (dissoute en 2025), Jougne-Suchet et Haute-Valserine et de quelques individus isolés.
Les pro loup réagissent
Opposée à la régulation du loup, l’association Defend the Wolf a réagi à cette attaque sur les réseaux sociaux, souhaitant rappeler «que l’émergence de ces incidents fait partie du retour naturel de cette espèce dans nos montagnes et nos campagnes.»
«Nous comprenons que l’attaque de Valeyres-sous-Rances soit une situation difficile pour les éleveurs, mais la régulation du loup, par la chasse ou d’autres moyens létaux, n’est pas la solution appropriée.» L’association met en avant «le rôle essentiel du loup dans l’écosystème, contribuant à maintenir l’équilibre de la faune en régulant les populations d’animaux sauvages. Sa présence renforce la biodiversité et est un symbole important du respect de la nature.»
Defend the Wolf encourage les autorités à soutenir les éleveurs dans la mise en place de clôtures adaptées, de chiens de protection, ou encore la surveillance accrue des troupeaux, soulignant qu’il existe de bons exemples de cohabitation dans d’autres régions d’Europe.
Enfin, l’association appelle «à un dialogue constructif qui inclut les intérêts des éleveurs, la préservation de l’écosystème, et le respect du retour du loup, afin de trouver des solutions durables qui bénéficient à tous.»