Rances - Le village de 500 habitants est un pionnier. Selon la Fédération suisse des sourds, Vincent Guyon est devenu dimanche le premier membre d’un exécutif du pays à devoir lire sur les lèvres. Une fierté pour l’intéressé.
Une nouvelle étape de la vie de Vincent Guyon s’est écrite dimanche, aux alentours de 11h30. «Je me rendais vers le pilier public pour voir quel score j’avais réalisé. Avant d’y arriver, un de mes adversaires, Mathieu Widmer, m’a félicité. J’étais loin d’imaginer ce que j’allais lire… «Est élu à la majorité absolue: Vincent Guyon.» C’est comme si le ciel m’était tombé sur la tête!» La particularité de cette élection municipale? À la connaissance de la Fédération suisse des sourds (SGB-FSS), l’homme de 48 ans est le premier municipal à vivre avec ce handicap, et ce dans l’ensemble de la Suisse. «C’est une nouvelle très positive», s’enthousiasme Sandrine Burger, porte-parole de la SGB-FSS. Les sourds sont extrêmement sous-représentés dans le monde politique, alors que près d’un million d’habitants sont sourds ou malentendants dans notre pays. Or le meilleur moyen de se faire entendre est de faire partie des décideurs. Il y a un vrai problème.»
Et si en tant que municipal ransignolet Vincent Guyon ne pourra pas directement changer la donne au niveau national, il est cependant possible que son élection serve de déclic. «Il peut être un exemple pour d’autres personnes qui partagent son handicap et qui souhaiteraient s’investir dans la vie politique de leur commune», analyse Patrick Simonin, président du Conseil général de Rances et député vaudois. Ce dont serait très honoré celui qui est connu pour son activité d’arbitre de basket: «Si cela peut aider des parents qui ont un enfant sourd à avoir de l’espoir pour l’avenir de leur fils ou de leur fille, c’est une bonne chose.»
Des obstacles à surmonter
Vincent Guyon a été le premier à s’inquiéter de la compatibilité de sa surdité avec le rôle de municipal. Avant l’élection, il a d’ailleurs demandé à Patrick Simonin si sa candidature était possible. «Je ne voulais surtout pas le dissuader, se remémore le député. C’est à nous de nous adapter. Nous serons confrontés à son handicap durant quelques heures à peine, alors que lui vit avec tous les jours. C’est la moindre des choses.» Pour Sandrine Burger, la question ne doit même pas se poser: «Les sourds sont des citoyens comme les autres. Il est donc primordial que l’état leur donne les moyens d’exercer ce type de fonction.» Or c’est justement l’assurance-invalidité qui prend en charge les aides nécessaires (lire encadré).
Ce qui n’efface pas tous les obstacles que devra surmonter ce père d’un enfant lors de son mandat. «La politique se joue aussi beaucoup dans les bistrots, là où l’AI n’entre plus en matière pour payer un interprète, relève la porte-parole de la SGB-FSS. En ce sens, il sera très intéressant de suivre le parcours de Vincent Guyon. Il est une sorte d’éclaireur pour les sourds qui veulent se lancer dans la politique.»
Mais pas de quoi effrayer l’homme qui se présente aussi à la présidence de Swiss Deaf Sport, l’organisation qui défend les intérêts des sportifs sourds en Suisse. «J’ai été élevé dans l’esprit «rien n’est impossible à celui qui croit». Mes parents, croyants, ont toujours pensé que c’était possible de briser les barrières. C’est une victoire personnelle après plusieurs échecs dans le chemin de l’intégration.»
Quelle prise en charge?
Les besoins spécifiques liés au handicap de Vincent Guyon ont un coût. Un interprète est, en moyenne, payé 119 francs par heure, sans compter les frais de déplacement. Ce spécialiste sera indispensable lors des séances du Conseil général, le nouveau municipal ne pouvant lire sur les lèvres des membres de l’organe délibérant assis à plusieurs mètres de lui. Contacté, l’Office de l’assurance-invalidité (AI) pour le canton de Vaud, indique que ce type de prestations est limité à 1778 francs par mois et pour toutes les activités professionnelles du bénéficiaire. Si cette somme est insuffisante, il revient à la personne en situation de handicap d’assumer les frais. À noter que Rances n’organise en principe jamais plus d’une séance du Conseil lors du même mois. Ce qui limite la dépense à environ 400 francs.
Bien que Vincent Guyon soit le premier sourd à entrer dans un Exécutif, cette nouveauté ne chamboulera pas l’Office de l’AI, habitué à des situations similaires. Le passionné de basket ne devrait donc rien «coûter» à la commune. À part peut-être un micro, nécessaire pour qu’il puisse être entendu. «Mais il s’agit d’un objet qui pourra être utilisé par tout l’Exécutif et qui profitera donc à tout l’organe délibérant», commente Patrick Simonin, président du Conseil du village.