Football – L’ancien attaquant d’Yverdon Sport était de passage dans la Cité thermale. L’occasion pour lui de se livrer à quelques confidences et d’évoquer sa nouvelle vie loin des terrains, au Brésil. Moments choisis.

«C’est vide ! Avant, il y avait quasi 2000 personnes à chaque match», a lâché Leandro, au moment de s’asseoir dans la tribune du Stade Municipal.
Accoudé à un coin de table du restaurant La Grange, il déguste un plat de pâtes. Tranquillement. «J’ai mangé ici, à la même table, midi et soir, pendant les deux premières saisons», narre Leandro Fonseca. «Je préfère juste Leandro, corrige-t-il. C’est le nom que j’ai toujours porté sur mon maillot.» Dont celui d’Yverdon Sport, imprimé de son n° 9 fétiche. Près de vingt ans après avoir déposé pour la première fois ses valises dans la Cité thermale, le Brésilien était de passage quelques jours dans «sa ville d’adoption», comme il aime la désigner.
Débarqué au Stade Municipal à l’été 1997, après deux saisons prometteuses à Saint- Gall et à Wil, le jeune attaquant de 22 ans à l’époque ne met pas longtemps à se faire un nom dans le Nord vaudois. De retour dans son Brésil natal, six mois après la fin de son prêt à Wil et ses quatre buts inscrits contre Yverdon, Leandro se souvient d’un coup de téléphone de François Candaux, alors président d’Yverdon Sport. «Tu veux revenir jouer en Suisse ?, m’avait-il lancé. J’avais déjà dépensé tout l’argent que j’avais gagné, alors j’ai dit oui.»
A son arrivée au bord du lac de Neuchâtel, dans une Suisse romande qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, son intégration a pris des airs de chemin de croix. «J’étais perdu, assure-t-il. C’est tout juste si je pouvais situer Sion et Genève sur une carte, car deux amis brésiliens y jouaient.» Et le français dans tout ça ? Idem. «La langue, la nourriture, la météo… Tout me paraissait tellement étrange. Ça a été un choc sur toute la ligne.»
La Suisse, pays d’adoption

Albino Bencivenga (à g.), fidèle «lieutenant» de Leandro à Yverdon Sport, et Christian Morgenegg, également ancienne gloire d’YS.
Heureusement, le jeune homme souriant et avenant qu’il était a pu compter sur la gentillesse et la bienveillance des Yverdonnois. Un, en particulier. Par ailleurs fervent supporter du club local.
«Antonio (ndlr : Pellicciotta, ancien patron du restaurant La Grange) m’a pris sous son aile et m’a aidé comme il a pu. Il a été comme un père pour moi», lâche Leandro, non sans rappeler l’importance de la famille là d’où il vient. «Les premiers mois, je n’arrêtais pas de penser au Brésil, se souvient le buteur de 41 ans. A la fin, c’était le contraire : c’est en Suisse que je me sentais à la maison.»
Une métamorphose rapidement traduite sur le terrain par des statistiques à faire pâlir bon nombre de ses compères attaquants. Entre 1997 et 2001, sous la houlette d’un certain Lucien Favre alors «inconnu», il a mouillé le maillot à 85 reprises. Pour un total de 51 réussites, dont 23 la première saison ; un véritable fléau pour les défenses qui faisaient le déplacement au Stade Municipal. «Je me souviens notamment du match pour la promotion contre Delémont, raconte l’ancien n° 9. Il y avait 2000 personnes. On avait gagné 3-1, c’était de la folie. Partout en ville, les gens faisaient la fête.»
Après quatre saisons pleines, Leandro fait le pari de l’Allemagne, à Ulm. «Yverdon Sport et le championnat de Suisse ont été un tremplin dans ma carrière», confie-t-il. Une relégation et une faillite plus tard, le malheureux retourne une première fois jouer au Brésil, dans le club de Curitiba.
Un choix motivé surtout par des raisons familiales. «Mon père allait mourir. Il a toujours rêvé que je revienne un jour au pays pour qu’il puisse me voir jouer», lâche celui dont le papa était aussi footballeur professionnel.
YS, l’épilogue européen

Leandro a profité de son escapade bernoise pour retrouver ses anciens compères à Young Boys : Joël Magnin (à g.) et Stéphane Chapuisat.
L’escapade brésilienne n’aura duré qu’un an. De retour en Europe, le Suisse d’adoption rejoint le Lausanne-Sports en cours de saison, avant que le club vaudois ne tombe, lui aussi, en faillite. «Je sais, ça commence à faire beaucoup», glisse, souriant, celui qui aura porté le tricot de huit clubs de Ligue nationale. «J’ai d’ailleurs été surpris d’avoir pu continuer à percevoir mon salaire, reprend-il. Au Brésil, du jour au lendemain, tu ne touches plus rien de la part du club, s’il dépose le bilan.» S’ensuit une saison à Xamax et une autre à Young Boys, au côté d’un certain Stéphane Chapuisat, «probablement le meilleur coéquipier avec lequel j’ai pu évoluer».
Après une poignée de matches disputés avec Hanovre, Grasshopper et Thoune, Leandro retrouve le banc du Stade Municipal, en 2007, pour une ultime saison en Europe. «Avant de signer, j’ai parié avec Cornu (ndlr : Paul-André, le président d’alors) que j’allais inscrire dix buts au minimum, se souvient le renard des surfaces. Devinez quoi : j’en ai marqué douze !» Une prouesse qui n’a toutefois pas suffi à prolonger l’aventure dans la Cité thermale. Après douze années et près de 400 matches au compteur, Leandro a définitivement quitté le Vieux Continent pour retrouver son Brésil natal. Un choix du coeur et de raison : «J’aurais bien voulu continuer à jouer au plus haut niveau, mais je n’avais plus les jambes. Et puis je souhaitais retourner auprès de ma mère et de ma famille.»
Après deux ultimes saisons en quatrième division nationale, le natif de Jaboticabal a mis, à 36 ans, un terme à sa carrière de joueur professionnel. «Ça a été très, très dur, reconnaît celui qui continue à taper dans le ballon avec les vétérans d’un club local. Le football, c’est toute ma vie. Je ne sais faire que ça. Alors quand tu te retrouves sur la touche, ce n’est pas évident d’aller de l’avant. Encore aujourd’hui, ça me manque.»
Les années passées en Suisse auront laissé une trace indélébile dans la carrière du chasseur de buts qu’il était. Et pas seulement sur le plan sportif. Leandro est le père de Fabio, 15 ans, et Silvio, 12 ans, fruits d’un amour de jeunesse lors de son premier passage à Yverdon restés en Suisse auprès de leur mère. Milieu de terrain avec le FC Orbe pour l’aîné, gardien avec les M12 d’Yverdon pour le cadet, ils marchent sur les traces de leur père.
Quand vient le moment d’évoquer l’amour de ce celui-ci pour ses enfants, la voix se fait tremblante et les yeux rougissent. «Je ne les vois pas beaucoup, tous les trois-quatre ans environ. On se téléphone, mais c’est dur. Ils me manquent, avoue-t-il. Le football, c’est l’héritage que je leur ai laissé.» La larme naissante essuyée avec la serviette de table, il se reprend : «C’est les aléas de la vie, comme on dit. J’espère juste qu’ils pensent un peu à moi et, surtout, qu’ils ont autant de plaisir que j’en ai eu à jouer au football.»
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