Lève-toi et plante!
6 février 2025 | Textes: Jérôme Christen | Photos: Michel DuperrexEdition N°3886
La Fondation Lève-toi et Plante prend en charge des jeunes qui sont en perte de repères. Avec son approche sur mesure, elle fait le maximum pour les remettre sur les rails. Elle a vu le jour l’an dernier à Cheseaux-Noréaz pilotée par Jean-Denis Rossel, qui effectuait déjà ce travail par le passé dans un cadre privé.
«J’aimerais être la personne auprès de laquelle j’aurais voulu m’asseoir lorsque j’étais ado. Les adolescents passent souvent par des crises compliquées, cela a été mon cas», explique le directeur de la Fondation Jean-Denis Rossel pour expliquer ce qui l’a conduit à changer d’orientation professionnelle après avoir été mécanicien auto. «Dans des périodes de crise, il faut avoir, à vos côtés, une personne, soit pour vous rentrer dedans si vous faites fausse route ou alors pour vous donner raison. C’est ce que je fais depuis des années.»
Dans son activité précédente à Sainte-Croix, Jean-Denis Rossel prenait déjà un ou deux, voire trois jeunes pour leur remettre le pied à l’étrier en leur faisant faire des petits boulots. Mais au fil du temps, la demande est devenue tellement importante qu’avec quelques personnes de son entourage, il a décidé de passer à la vitesse supérieure. Une structure professionnelle a ainsi été mise sur pied sur le site d’une exploitation agricole pour les aider à se reconstruire au travers de travaux d’occupation.
Processus de construction
C’est à Cheseaux-Noréaz que Lève-toi et Plante a trouvé un terreau fertile, sur le site de l’entreprise arboricole Muller Fruits. Son nouveau propriétaire souhaitait accueillir des jeunes en difficulté qui veulent entamer un processus de construction en lien avec la terre. «Il nous met à disposition des terrains, des outils et des bureaux. Ce type de prise en charge – qui permet aux personnes de se recentrer – n’existe quasiment pas dans notre système social», souligne Jean-Denis Rossel. C’est une première étape puisqu’un deuxième site ouvrira prochainement entre Yverdon et Lausanne avec des places d’hébergement. Sur le plan financier, la Fondation tourne pour le moment exclusivement avec des ressources privées.
Hors des sentiers battus
Le type de prise en charge proposé par Lève-toi et Plante sort des sentiers battus à plusieurs titres. C’est ce qui a séduit Kevin Roulin, sociologue et président de la Fondation: «J’ai collaboré avec d’autres institutions dans lesquelles les activités se font dans un environnement cloisonné. Ici il y a une diversité et un environnement qui permet une reconstruction même avec des cas très lourds.»
C’est d’ailleurs la vision de Débora Richard, assistante sociale, dont le travail à 60% vient en appui de celui de Jean-Denis Rossel. «De plus en plus de jeunes n’arrivent pas à se projeter. Les psychologues se sont demandé ce qu’il y avait de mieux à faire pour les aider à surmonter leur éco-anxiété. Ils ont conclu qu’en retournant à la terre, on pouvait repartir et rebondir. Ici, nous avons à cœur de développer un potager selon le système agricole durable dit bio-intensif, autonome en semences. Même si les jeunes n’ont aucune formation spécifique dans ce domaine, ils vont pouvoir acquérir des techniques leur permettant plus tard de gérer un potager chez eux.»
Activités variées
Ce n’est pas la seule activité proposée : il y a onze ateliers différents, dont également la cuisine, la ferme arboricole, les plantes, la transformation des aliments, la menuiserie, l’apiculture et la boulangerie. Le but est de leur faire retrouver une identité, une confiance en eux leur permettant de voir le bout du tunnel.
L’autre particularité de Lève-toi et Plante est de prévoir un encadrement sur mesure, à leur rythme, explique Jean-Denis Rossel. «Certains, au début, sont juste capables de travailler 1 heure par semaine. Nous adaptons la cadence progressivement en fonction de leur état. Ce qui est essentiel, c’est de conserver un rythme et surtout de ne pas recommencer à vivre la nuit et dormir le jour.
Kevin Roulin a très vite vu le sens du travail de Jean-Denis Rossel. «Dans le cadre de mes activités, j’ai pu constater l’émergence d’une jeunesse qui est en quête de sens, je me suis aperçu à quel point il y a des désillusions qui les conduisent à perdre leur dignité. Débora Richard travaille avec ces jeunes sur la posture, les entretiens d’embauche et leur CV, l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur vie.
Même contexte, issues différentes
Jean-Denis Rossel cite deux cas de personnes victimes d’addictions qui ont trouvé des issues très différentes. «Un jeune avait franchi une première étape de trois mois de sevrage, ça se passait bien, mais il voulait rentrer chez lui. Nous ne pouvions pas le retenir, c’était son choix. Après quelques semaines, il a replongé et est décédé il y a quelques mois. Pour sortir d’une addiction, il faut du temps au cerveau pour se déprogrammer, jusqu’à 18 mois selon les cas. Sans activité quotidienne, il y a de gros risques qu’un coup de mou prenne le dessus.» Dans un autre cas, un jeune a tenu bon, a trouvé un rythme et est en train de chercher à créer sa propre entreprise. «On voit que cela reste un choix personnel, malgré l’encadrement bienveillant et adapté», relève Kevin Roulin.
Jean-Denis Rossel relève que les dépendances ne sont pas liées exclusivement à la drogue ou l’alcool. Il cite le cas d’un quadra en épuisement professionnel. «C’est un menuisier hors pair, très doué de ses mains, mais je l’ai vu ne plus savoir comment mettre un embout sur une visseuse. Il est en train de faire redémarrer gentiment son entreprise. Lorsqu’on est cabossé, c’est difficile de se réinsérer dans un circuit économique très violent.» Pour Kevin Roulin, «lorsque la zone tampon est touchée, il n’est plus possible de se reconstruire comme avant. Il faut trouver des aménagements.»