La démolition d’immeubles représentatifs de la Prairie est contestée, tant du point de vue urbanistique que social.
Un projet de construction de trois immeubles, abritant un total de 46 appartements, avec un parking souterrain de 26 places, actuellement à l’enquête publique, est fortement contesté par des locataires des bâtiments existants, promis à la démolition. Ce projet, justifié par le principe de densification, concerne un site particulièrement délicat de la ville, le quartier de la Prairie. Mais il a également des implications sociales, puisqu’il contraindrait des locataires en place depuis plus de cinquante ans à quitter les lieux.
Propriétaire de six bâtiments promis à la démolition, la Fondation Axa envisage de construire trois immeubles répondant au standard Minergie de part et d’autre de la rue Louis Ducros, immédiatement derrière l’Hôtel La Prairie et son parc, qui s’inscrivent dans un site verdoyant beaucoup plus large au centre duquel trône la source de la Prairie. Cette dernière a alimenté des décennies durant l’usine d’embouteillage d’Arkina, dont l’immeuble, au gré du déménagement à l’avenue des Sports – le site est exploité par la Brasserie Chopfab Boxer –, a été transformé pour devenir l’Hôtel de la Source.
Tous les critères du nouveau monde
A l’examen du dossier mis à l’enquête, on constate que le projet de construction répond à tous les critères du moment: standard Minergie, panneaux solaires, et raccordement au chauffage à distance (CAD). Mais aussi en termes de mobilité: 26 places de stationnement en souterrain pour 46 appartements, et deux places en surface. De la place pour huit vélos est prévue près de chaque immeuble.
On y ajoutera les éléments sociaux: jardins potagers, piste de pétanque et place de jeux pour les enfants. Tout cela sur une parcelle de 1843 m2 à l’ouest de la rue Ducros, pour le premier immeuble, et de 3938 m2 pour les deux autres, situés de l’autre côté de la rue.
L’unité du quartier mise à mal
Les habitants du quartier comprennent bien la nécessité de densifier, mais ils dénoncent une atteinte à son unité urbanistique. Même si les immeubles ne compteront que deux étages sur rez et que pour casser l’effet bloc, chaque immeuble comporte un décrochement pour préserver l’illusion d’optique.
Et puis il y a l’impact sur le paysage et la végétation, avec une arborisation répartie sur de larges espaces. Même si le projet mis à l’enquête prévoit des plantations d’arbres, en termes de surface, les espaces verts seraient réduits.
Un abandon progressif
Un des immeubles voués à la démolition a déjà été vidé de ses occupants. Et dans les autres, les locataires restants sont soumis à une forme de précarité. Un jeune homme témoigne: «En fait, je devais faire mes études à Yverdon et j’ai trouvé cet appartement via une plateforme internet. C’est la société Projekt Interim à Genève qui loue à des conditions très avantageuses. En fait, on ne paie que les charges. Je savais que je devais partir, mais cela m’arrange. J’ai fini mes études.»
Et avec ce type de locataire, le propriétaire évite une occupation par des squatters. «Mais il arrive que des gens dorment dans les garages et sous-sols», relève un autre habitant du quartier.
La mise à l’enquête publique semble sonner la fin de cette période transitoire. Mais le bras de fer risque de se poursuivre devant les tribunaux.
Un véritable cas de conscience pour la Municipalité
Avec le projet mis à l’enquête à la Prairie, l’exécutif yverdonnois va être confronté à un problème cornélien. S’il donne son aval à des bâtiments dont le concept répond sans doute à l’optique de la majorité rose-verte en termes conceptuels, il va se mettre en porte-à-faux non seulement avec son aile sociale, mais également avec les protecteurs du patrimoine.
Car le quartier de la Prairie fait véritablement partie du patrimoine yverdonnois. En effet, en vendant, juste après la Seconde Guerre mondiale, l’Hôtel La Prairie et les terrains voisins au promoteur et mécène yverdonnois Charles Decker, la Ville, par décision du Conseil communal, s’est assuré le développement harmonieux d’un quartier.
Faut-il, au nom de la densification érigée en véritable dogme, sacrifier cette harmonie à laquelle les espaces verts donnent une splendeur particulière?
A quelques centaines de mètres de là, au nord-est de la ligne de chemin de fer, entre Lilas et Liserons, la Municipalité a interdit la construction d’une annexe, parce qu’elle portait atteinte à l’unité du quartier, fait d’immeubles séparés par de genéreux espaces verts. Le Tribunal cantonal a confirmé la décision municipale.
Même si comparaison n’est pas raison, la valeur du site de la Prairie n’est pas moindre. Mais il y a plus. Entre le raccordement au (très cher) chauffage à distance (CAD), les objectifs de mobilité, et les éléments sociaux et patrimoniaux, la décision sera lourde de conséquences.