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L’hommage de Bouillon à Barnabé

29 octobre 2020

Jean-Claude Pasche s’en est allé cette semaine à l’âge de 80 ans. Notre chroniqueur a bien sûr croisé sa route.

Véritable coup de Joran sur le Jorat: Jean-Claude Pasche, alias Barnabé, a tiré le rideau rouge sur l’épilogue de sa belle aventure terrestre, mais son nom restera gravé sur l’enseigne lumineuse, dans les nuits brumeuses, au bord de la route, à Servion. Évoquer Barnabé, c’est d’abord l’épopée d’un théâtre né dans une arrière-grange du père paysan et sorti de nulle part, loin du flonflon des théâtres urbains; mais c’est aussi le personnage mystérieux, fuyant parfois, éphémère et pourtant tellement attachant dans ses «travers», en fanatique de trains, et passionné par le son profond des orgues.

Les jeunes humoristes d’aujourd’hui doivent savoir que tout le gotha théâtreux et le gratin humoristique de ce pays, et d’ailleurs, ont défilé sur la petite et grande scène de la Croix-Blanche, entre röstis et jambon à l’os, sans oublier les anonymes ou autres passionnés de la scène.

Sans commettre d’oublis, de Silvant à Jo-Johnny, d’Urfer à Luther, en passant par Madeleine Robinson, Bernard Haller, les meneuses de revues Andrée Walser et Mona Luini, Nicole Ray la Parisienne, Gilles et le Conseil fédéral, la nouvelle génération, les nostalgiques, les anonymes, sans parler des opérettes et des comédies musicales, tous sont passés au crible de ses sueurs, de l’autre côté de la route! Les repas-spectacles avaient l’odorat du Lido, quand les apparats des bourgeoises lausannoises se mélangeaient, à l’apéro, aux salopettes des paysans, en croquant des bons mots, que Jean-Claude adorait, illuminés par son accent…

Née sur les cendres de La Revue de Lausanne, grâce à Béranger, la grange à Pont, avec sa loge « royale », a assuré la transition entre la remise et le plus beau théâtre romand.

Sans avoir été un intime de Barnabé, j’entretenais une connivence de terroir, en admirant son audace, sa désinvolture et sa liberté existentielle. Avec Barnabé, personnellement, j’ai gagné mes galons de détails scéniques, d’improvisations, et surtout j’ai pu mettre la main à la pâte en vendant les programmes, posant les affiches, coupant le jambon et guidant les visites dans les coulisses aux curieuses citadines…!

Avec les tournées automnales dans les villes de Romandie de 1977 à 1980, j’ai découvert le public qui oublie de rire un 1er janvier, les rideaux qui s’écroulent, le retour du piano à point d’heure, les migraines des actrices, les cancans d’une région et, surtout, des amitiés et du respect pour ceux qui bossent dans l’ombre des «projos». Barnabé, tu m’as appris la chute du sketch, la dernière «passe» pour amener le witz, ne pas mettre de chaussettes, superposer quatre costumes et le détail qui ouvre le rire, en pape ou patins à roulettes!

Sans avoir refait le monde avec toi, jusqu’au petit matin, en sirotant un pur malt, tu m’as donné confiance, à une époque où la «grande chance de 68» avait eu raison de ma carrière pédagogique et de mes rêves de rive gauche au Club Med. Dans ton antre de Servion, je suis devenu un vrai «revuiste», un observateur des ébats du monde, des modes sociétales, du sans-gêne, tout en gardant cet amour de la terre natale, l’odeur de ce pays, l’accent de la dérision.

Merci Barnabé de m’avoir laissé croiser ton chemin et bravo pour «La Revue» de ton œuvre passionnée.