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Passion et endurance font vivre les derniers kiosquiers

15 octobre 2013

Friche d’une époque industrielle qui a contribué à son succès, le kiosque de l’avenue de Grandson, à Yverdon, a été démonté. Diversification, passion et endurance, permettent aux derniers exploitants de résister.

Walter Barreto, du Kiosque du Château, est un personnage incontournable du centre-ville. Du petit kiosque situé de l’autre côté de la rue -véritablement monument historique- Walter est passé à un commerce de taille plus que respectable. Douze ans d’activité lui permettent d’émettre une analyse avisée : «La clientèle a changé. Les gens lisent moins et ils s’abonnent. Depuis l’apparition de la presse gratuite, on est passé de cent journaux vendus à trente. Sans la Loterie Romande, on ne pourrait pas vivre.» «Tous les kiosques qui ne sont pas bien placés vont mourir. Nos marges sont tellement petites qu’il faut beaucoup de passage. Ce n’est pas en vendant des bonbons qu’on paie le loyer !», prévient-il.

Le kiosque est un commerce en voie de disparition, serait-on tenté de conclure après une analyse de l’évolution de ce type de commerce. Après le kiosque des Cygnes -à ne pas confondre avec son voisin des Prés-du- Lac exploité par Lysette Party- et la fermeture de longue date de celui de l’avenue des Sports, le kiosque de l’avenue de Grandson, après avoir attendu un hypothétique repreneur, a été démonté.

Ces trois kiosques ont connu «leur âge d’or» lors de la grande période industrielle yverdonnoise. Le premier bénéficiait de la proximité des Ateliers CFF, le deuxième de celle de Paillard, et le troisième d’une situation idéale près de Leclanché. Aux collaborateurs de ces trois fleurons de l’industrie locale -une clientèle presque captive qui passait quatre fois par jour- s’ajoutaient les habitants du quartier, qui se déplaçaient alors principalement à pied et à vélo.

Antoine Cano, 55 ans, avec l’aide de son épouse Jocelyne, tient le Kiosque des Moulins depuis 7 ans. Il passe plus de 60 heures par semaine dans son commerce. Avant d’être kiosquier, Antoine Cano était boucher, il a arrêté cette profession car il ne voulait plus avoir un patron sur le dos. «Mais tout n’est pas rose !», déclare-t-il. Le segment tabacs perd 14 à 15% de chiffre d’affaires par année en raison de ce qu’il considère comme «un matraquage». Antoine a dû diversifier son activité, il a gardé les articles de pêche, mais il a ajouté des articles d’épicerie. Il a confié que même s’il vient et repart avec le sourire, si c’était à refaire, il ne le ferait pas. «Malgré tout, j’aime mon métier», conclut-il avec un grand sourire.

D’autres kiosques, victimes du phénomène de concentration et des changements d’habitudes de la clientèle, ont fermé leurs portes dans un passé plus ou moins récent : à la promenade Auguste- Fallet, à la rue de la Plaine, à la rue des Bains, à Yverdon-Sud. La liste n’est pas exhaustive.

Mais les kiosques sont aussi victimes d’une concurrence âpre. Les stations-service, des épiceries et La Poste ont peu à peu grignoté ce commerce de proximité par excellence.

Le poids de la LoRo

«S’il n’y avait pas la Loterie Romande, on pourrait oublier. C’est ce qui nous fait vivre. Parce que quand vous avez retiré la TVA des cigarettes, il ne nous reste pas grand-chose», explique Michel Chaloin, du Kiosque de la rue du Lac.

«Je suis sur le point d’arrêter. J’ai atteint l’âge de la retraite. C’est le moment de tirer un trait et d’en profiter un peu avant de tirer l’arme à gauche», explique Michel Chaloin. Il envisager de continuer encore une année, avant de remettre son commerce. «Sinon, je reste, parce qu’il y a quand même de la demande», affirme-t-il avec le sourire. D’origine française, mais domicilié depuis fort longtemps dans la région, Michel Chaloin n’avait pas programmé la reprise d’un tel commerce : «C’est venu un peu par hasard, par le bouche à oreille. J’avais besoin de changement. Mon amie m’a dit que ce kiosque était à remettre.» Il n’a jamais regretté son choix. Parce que l’indépendance a un prix.

Et d’ajouter : «On arrive à vivre, mais il ne faut pas compter les heures de travail. C’est six jours à douze heures par jour. Maintenant, je ferme le jeudi après-midi. Sinon, je n’ai même pas le temps de faire mes courses.»

Alors qu’il se dirige tranquillement vers son 75e anniversaire, Walter Eckinger, du kiosque «Au Khédive», rue du Milieu, conserve le grand sourire : «Le premier décembre, je commence ma vingtième année. Je n’ai jamais eu de regret et en me spécialisant dans les tabacs, les cigares et les accessoires, j’ai pu développer le chiffre d’affaires.»

Ce succès à un prix : 65 heures de présence par semaine. «Mon épouse Erna participe à cent pour cent. Elle est là tous les samedis et s’occupe de l’administration.» Au Kiosque des Moulins, Antoine Cano affiche déjà sept ans de présence. A l’instar de son prédécesseur Roger Tallichet, l’ancien boucher rêvait d’indépendance : «Tout n’est pas rose.

Walter Eckinger fait figure de vétéran dans le milieu des kiosquiers yverdonnois. Et cet optimiste forcené semble ne pas connaître l’usure : «J’avais un bureau d’assurances à la rue du Four et j’ai dit à Paul Weber : le jour où vous remettez, pensez à moi !» Depuis décembre 1994, Walter Eckinger cultive le plaisir. «Je n’ai jamais eu de regret. Je ne peux pas me passer du kiosque», avoue-t-il, tout en admettant que, dans un avenir pas trop lointain, il faudra passer la main. La passion de «Walti» pour son métier n’a d’égale que celle qu’il voue au cigare. Dimanche dernier encore, il visitait les installations d’un producteur argovien. Et en novembre, ce sera le traditionnel «pèlerinage» à Cuba, où il retrouvera les rouleurs de cigares.

Les ventes de presse et de cigarettes ont beaucoup baissé. Et ce sont soixante heures par semaine ! Mon épouse Jocelyne, et une extra, le mercredi matin -c’est le seul jour où je dors- m’aident.»

I.Ro et Carolane Martin