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Un amoureux de la nature
André Marguerat en août 2021, près de son cabanon de la rue du Parc. michel duperrex

Un amoureux de la nature

6 février 2025 | I. Ro.
Edition N°3886

André Marguerat s’en est allé dans sa 101e année. Personnalité du quartier des Cygnes, il a vécu la transformation de la ville.

Sa stature a impressionné plus d’un jeune Yverdonnois lorsqu’il trônait à la plage, dont il assurait à la fois le nettoyage et la surveillance, tel un maître-baigneur multicarte. Cet enfant du soleil connaissait mieux que personne une ville qu’il a vue se transformer, de chef-lieu campagnard en cité industrielle, au cœur d’un espace naturel privilégié. Et dont il a profité jusqu’à un passé récent.

Né dans une famille modeste du quartier des Cygnes, qui habitait dans deux wagons à quelques pas de la chapelle, André Marguerat, dit Le Grèbe, est resté fidèle au bord du lac. Sa cabane située à l’extrémité de la rue du Parc, non loin de La Matelote, était son havre de paix, l’endroit où il a vécu des moments inoubliables, et où il cultivait encore l’amitié.

Chasseur par nécessité – il a eu plus de cinquante permis et a pratiqué cette activité jusqu’à l’aube de ses 90 ans –, il a partagé cette passion avec Henri Forestier, qui a exploité des décennies durant une boucherie à la rue du Lac, et Léon Sauterel, à l’époque chef de la radiologie à l’hôpital d’Yverdon.

Au fil du temps, le cercle s’est réduit. Mais André les a gardés dans son cœur. Lors d’une visite à son cabanon, en été 2021, en pointant le doigt vers les photos accrochées au mur, il nous disait: «Je leur parle parfois, car ils sont tous partis.»

On sentait à ce moment-là une certaine nostalgie, qui montrait que vivre longtemps n’est pas toujours un privilège. Mais la séquence émotion passée, la nature profonde du Grèbe reprenait le dessus. Car cet homme avait un regard qui en imposait.

Et ses origines modestes ne l’ont jamais encombré. Au contraire, il en a fait une force. Né au bord du lac, il y a passé ses plus belles heures, à torse nu, se laissant brûler par le soleil.

Il aimait séduire

Le Grèbe, tel un Apollon, cultivait son image de séducteur. Il n’a jamais caché sa passion pour la gent féminine et son surnom, il le doit tant à sa position d’observateur, la main en visière sur le front, qu’à ses qualités de nageur: il traversait la Thièle sous l’eau, n’hésitant pas à suivre le fond.

En charge de la sécurité des baigneurs, il prenait volontiers la barque à fond plat pour traverser de la roselière – marquant le début de la Grande Cariçaie – à la pointe de la Cure d’Air, renvoyant vers la rive les nageurs téméraires qui avaient franchi la ligne de bouées. Et gare à celui qui récidivait.

«A l’époque, beaucoup de gens ne savaient pas nager. Ils se jetaient à l’eau sans précaution. Mais j’avais l’œil. J’étais seul, et certains dimanches il y avait jusqu’à 7000 personnes à la plage. J’en ai sauvé quelques-uns», nous expliquait-il, fier d’avoir protégé tout son monde. A l’époque, la plus grande partie des familles yverdonnnoises passaient leurs vacances au bord du lac.

L’école de la débrouille

Pas très scolaire, André Marguerat a préféré les activités lacustres à l’atmosphère austère des classes du château et du collège Pestalozzi. Son beau-père, pêcheur, étant tombé malade, cet aîné d’une fratrie de six a pris le relais pour faire tourner la marmite: «J’allais à l’école quand je pouvais.» Véritable conteur, Le Grèbe se souvient d’un client genevois qui prenait tous ses poissons, y compris les vengerons.

Formé à l’école de la débrouille, il a passé 38 ans au service de la Ville, affecté au Service des travaux, dont il était un collaborateur apprécié tant il trouvait, par instinct, des solutions pratiques. Passé l’été, il s’occupait d’autres tâches, souvent en relation avec l’eau – il pilotait la faucardeuse pour nettoyer les canaux et en extraire algues et déchets –, mais aussi au Casino (Théâtre Benno Besson), qui accueillait nombre de lotos organisés par les sociétés locales, et les concerts de jazz, qu’il n’aurait manqués pour rien au monde. Et puis il aimait danser jusque tard dans la nuit.

Cette activité lui a permis de rencontrer quelques célébrités, à l’instar de l’humoriste français Fernand Raynaud et des acteurs venus avec les Galas Karsenty Herbert. Ce n’est pas un hasard s’il a baptisé son chat «Swing», en souvenir de cette époque dorée.

André Marguerat a aussi participé activement à la construction de la station de pompage au lac de Bellerive (Grandson), dont l’eau a alimenté durant des décennies la population yverdonnoise. A la barre de la «Davel», il a participé à la pose de la crépine et au transport du gravier nécessaire à la construction.

Ces dernières années ont été plus difficiles à vivre pour André Marguerat. Il déplorait certaines évolutions, tel le comblement, avec des déchets, des plans d’eau situés Entre Thièle et Mujon, où brochets et tanches venaient se dissimuler.

Tant qu’il a pu, Le Grèbe a préservé son indépendance, cuisinant de la rhubarbe qu’il étalait sur du vieux pain rôti. Ou un bouillon de légumes qui lui rappelait les belles heures de sa jeunesse. La fatigue du temps l’a certes un peu assombri, mais il ne manquait pas de manifester sa reconnaissance au personnel du CMS.

Avec une pensée pour ses proches, on espère que cette croisière tant attendue lui apporte la paix.